Essai de définition du macronisme
« On ne peut pas fonder la prospérité des uns sur la misère des autres »
Vincent Auriol, président de la République française (1884-1966)
Lors des échanges qui ont lieu entre nous, un éternel désaccord revient perpétuellement dans la critique du macronisme : on ne peut pas savoir exactement comment le critiquer car pour beaucoup, le macronisme, c’est un cocktail d’idées désarticulées, souvent opportunistes et sur lesquelles personne n’est jamais d’accord. C’est un peu ce qui le rend intouchable car c’est une doctrine manifestement claire pour son démiurge, mais souvent floue pour tout le monde et dont on peine à déceler les points structurants et les idées-forces récurrentes. On pourrait presque dire qu’elle n’a été pensée pour qu’on la comprenne, mais qu’on la suive !
C’est pourquoi avant de faire une critique forte du macronisme – dont la vision politique (autoritaire) n’a rien à voir avec l’économique (opportuniste – « et en même temps »), qui est souvent qualifié à tort de libéral voire d’ultra-libéral, alors qu’il est néolibéral et autoritaire (soit, souvent, antilibéral), il nous faut faire cet effort de compréhension et de définition. Aussi, après d’autres qui ont essayé de le définir très vite, le démiurge lui-même, tel un gourou1 et bien que l’homme – dont il faut admettre la singularité du profil psychologique – et la doctrine aient beaucoup évolués depuis avec de nombreuses « crises », il fallait aussi, pour comprendre où l’on nous emmène, pour comprendre l’avenir de notre citoyenneté, s’attacher à définir le macronisme tel qu’on en perçoit les constantes maintenant au bout de 10 ans de pratique (il est arrivé dans la vie politique comme S.G.-adjoint de l’Elysée en 2012 et succédait alors à un certain…Jean Castex, qui deviendra ensuite son premier ministre – révélateur d’une parfaite continuité politique). De nombreux ouvrage tentent encore aujourd’hui de cerner les points-clés et les grandes lignes de cette doctrine, la plus claire semble être celle d’un universitaire et politiste2.
Que nous en dit Wikipédia ? « Ensemble des doctrines défendues par Emmanuel Macron ; adhésion à celles-ci ». Ou encore : « (Ironique) Sentence assénée par Emmanuel Macron ». C’est court. Il faudrait y agréger et compiler une centaine de citations parfois contradictoires allant des « gens qui ne sont rien » aux « gaulois réfractaires au changement » qui n’ont qu’à « traverser la rue » pour trouver un emploi, en passant par « les fainéants, les cyniques, les extrêmes ». Tout le monde, en dehors des élites, ont eu droit à leur sortie. Le macronisme est donc indéfinissable à un instant « t » puisqu’il est un opportunisme et une adaptation permanente aux circonstances à l’avantage du chef.
S’il fallait théoriser à partir des grandes constantes perceptibles dans le verbe mais surtout l’action, on pourrait dégager trois grandes caractéristiques définissant le macronisme : deux critères de fond (sur les objectifs et l’action) et un critère de forme (quant à la méthode). L’on pourrait alors inférer que c’est une idéologie promouvant un modèle de gouvernement, sur le fond d’abord :
1) élitiste, endogame, qui se sert de l’appareil d’État sur un mode endogame pour servir les intérêts bien compris d’une classe élitaire : le « capitalisme de connivence » et les conflits d’intérêts. Point n’est besoin de citer les nombreuses affaires qui ont émaillé le quinquennat jusqu’à l’affaire Kohler pour le démontrer. Ensuite,
2) qui privilégie l’avantage du riche et qui vise à l’éviction du pauvre dans une politique darwinienne et malthusienne d’entrave permanente, de chantage voire de harcèlement envers les plus faibles de notre société. Ceci part d’un véritable mépris de l’égalité, perçu comme un égalitarisme, au profit d’une certaine forme de liberté (économique) à l’instar des américains, et à contre-courant de l’idéologie révolutionnaire française (bien expliquée par Tocqueville).
L’économiste et prix Nobel Gary Becker le résume bien3 : si l’égalité était rendue possible, toute une catégorie de la population ne seraient plus remerciés pour leurs efforts et décideraient de ne plus travailler, produire, ni prendre des risques. Le macronisme s’est beaucoup gargarisé de « compétitivité », que d’aucuns ont pu moquer par la formule « marche ou crève », faisant parfois référence à un état de nature Hobbésien glorifiant la loi du plus fort. La compétition est un rejet de l’entraide, qui pourtant a fait la supériorité de l’Homme sur les autres espèces4. Derrière la compétition, il y a l’idée darwinienne de sélection.
Un autre aspect du mépris macronien pour l’égalité des chances : un silence conservateur, attentiste, lâche et quasi pathologique sur la fermeté de l’Etat vis-à-vis de l’immigration, de la délinquance et des zones de non-droit, preuve que les « vertus et talents »5 ne valent que pour l’élite endogame. Derrière le macronisme, et derrière toute politique macronienne quelle qu’elle soit, en réalité, c’est une nouvelle lutte de classes entre élites et classes moyennes inférieures qui se joue, en pourrissant la vie de toujours la même catégorie, les plus faibles et les plus démunis. L’exemple de l’environnement est de ce point de vue révélateur du mépris de classe typiquement macronien : la « fin de l’abondance » est réservée aux classes moyennes et la politique des ZFE6 va pénaliser les plus pauvres qui n’ont pas les moyens d’acheter les bons véhicules – alors que l’on sait qu’un cargo émet autant qu’un million de voitures. Quand la politique tape toujours sur les mêmes groupes, ou en vient à exclure une fraction de la population, elle perd toute forme de morale et de légitimité. On ne connait aucun président dans une démocratie libérale digne de ce nom qui aurait accepté cela. Sauf si l’affaiblissement de la démocratie au profit de la technocratie est un objectif (bien démontré par Barbara Stiegler7 à partir de l’analyse du néolibéralisme de Walter Lippmann8) et c’est notre troisième critère, sur la forme.
3) en évinçant tous les corps intermédiaires, le peuple, et sa représentation qu’est le parlement, habituellement au centre du dispositif constitutionnel depuis 2008.
C’est un régime profondément technocratique et démophobe, cherchant en permanence à contourner le processus démocratique et considérant que le peuple n’a pas sa place dans le processus de décision, ou le moins possible, sauf quand les enjeux sont faibles.
Le Grand débat, tombé dans les oubliettes de l’Histoire et l’éviction de la CNDP (Commission nationale du débat public) pour une organisation ad hoc plus « contrôlée » fut révélatrice, le spectacle de l’enterrement de la convention sur le climat et le gadget du CNR aujourd’hui le confirment aisément. La citoyenneté n’a aucun sens pour la macronie en dehors d’un consumérisme, d’un zapping et d’une actualité-divertissement. La seule liberté qui est reconnue, c’est finalement celle de consommer.
Le macronisme s’incarne dans « la société liquide »9 où tout est flux, plus rien n’est stable ou ancré. Une société où tout devient précaire et cesse d’être acquis pour le plus grand nombre. Car être citoyen, c’est être titulaire de droits et devoirs, mais lorsque le peuple décide de demander des comptes sur ses droits, ne s’en sortant plus car on ne lui inflige que le respect de devoirs, cela peut virer au drame, comme avec les gilets jaunes – Michel Onfray parlant alors de gouvernement populicide. Ce genre de pratique générant des « gueules cassées » n’était alors observé qu’en situation de guerre.
Derrière un tel mode de gouvernement, il y a la négation de la citoyenneté (considéré comme inutile) et de toutes les délibérations citoyennes, l’éviction de la gouvernance horizontale au profit d’un retour autoritaire à un mode de gouvernement vertical descendant.
La gouvernance avait été théorisée pour permettre l’adhésion citoyenne aux décisions pour que ceux qui les appliquent soient impliqués. La décision politique gagne alors en efficacité. Dans le macronisme, l’adhésion perd tout intérêt au profit d’une mise en œuvre autoritaire comme l’a parfaitement démontré l’épisode pandémique qui a montré que le macronisme ne peut en aucun cas être politiquement libéral. Voilà pourquoi, beaucoup d’entre nous, chez Nous Citoyens !, s’y opposent avec force.
Lui, citoyen parmi d’autres.